Cinq ans plus tard : la vision, le feu* et le réel
Introduction
En octobre 2020, je terminais mes études dans un climat d’incertitude totale. Confinement, doutes, fatigue mentale, pression des anciens et des enseignants… et pourtant, j’écrivais noir sur blanc :
« Je crois qu’il est possible de faire de l’ostéopathie saine, humaine, libre et rigoureuse, sans céder à la peur ni à la course aux patients. »
Cinq ans plus tard, je ne peux qu’avoir un sourire. Pas un sourire condescendant ou nostalgique, mais un sourire plein de gratitude. Parce que cette vision, je ne l’ai pas trahie. Mieux : elle a été un cap. Elle m’a structuré. Et le réel m’a donné raison.
À l’époque, je pensais que j’allais surtout devoir m’adapter, renoncer, lisser mes élans. En réalité, mon cabinet a explosé en écoutant mes élans. En assumant un positionnement qui ne ressemblait pas à celui qu’on m’avait appris à reproduire. En m’ouvrant immédiatement, sans attendre un « cadre » idéal, mais en créant le mien. Avec ses doutes, ses intuitions, ses prises de risque.
Et j’ai découvert quelque chose que je n’avais pas prévu : je soigne aussi avec les mots. Les maux, bien sûr, mais avec les mots. En me donnant du temps. En parlant vraiment aux patients. En écoutant activement, en regardant les silences, en ne fuyant pas les émotions.
Cette place que j’ai donnée à l’humain, à la parole, à l’instinct, à la prestance non feinte — elle a été la clef de voûte de mon développement.
Soigner par les mains, soigner par les mots
Quand j’ai ouvert mon cabinet, je pensais que tout reposerait sur mes mains. Mes tests, mes techniques, mes chaînes lésionnelles, mes plans de traitement.
Et en partie, c’est vrai. Mon bagage technique s’est affûté au fil des milliers de consultations. Ma main s’est précisée, mon œil clinique s’est affiné, mes gestes sont devenus plus calmes, plus justes.
Mais ce n’est pas ça qui a tout changé.
Ce qui a changé, c’est ce que je suis devenu dans la pièce.
Un espace. Un repère. Une voix. Une présence.
J’ai découvert que je soignais aussi par la manière dont je parle aux gens. Pas dans un sens ésotérique ou détourné. Dans un sens profondément incarné. Le mot juste, au bon moment. Le silence aussi. La posture qui donne confiance. Le regard qui valide. L’humour qui détend. Le cadre que je pose, instinctivement, et dans lequel les patients peuvent s’ouvrir, relâcher, verbaliser.
Je n’avais pas appris ça à l’école. Je ne savais pas que j’en étais capable.
Et surtout, je ne pensais pas que ce serait aussi fondamental dans la réussite d’une consultation.
C’est peut-être là que j’ai compris que l’ostéopathie, ce n’était pas une somme de techniques : c’était une manière d’être avec l’autre.
Et que plus j’étais sincèrement là, plus le soin était efficace.
Alliance thérapeutique
Avec le temps, j’ai compris que la technique crée peut-être le soulagement, mais que c’est l’alliance qui crée le changement.
Ce lien subtil qui se tisse entre deux êtres en présence. Cette confiance invisible mais palpable, où le patient sent que tu es là, vraiment là. Que tu ne récites pas un protocole. Que tu ressens. Que tu observes. Que tu t’adaptes.
J’ai appris à cultiver cette présence. À assumer ma prestance, aussi.
Pas dans le sens d’un ego qui s’impose, mais d’une autorité tranquille, qui rassure, qui guide.
Plus je me suis senti aligné intérieurement, plus mes patients l’ont ressenti.
Et plus les soins sont devenus profonds, transformateurs.
C’est un cercle vertueux : plus tu es dans le vrai, plus l’autre peut l’être aussi.
Et ça, aucun cours, aucun livre ne pouvait me l’enseigner. Il a fallu vivre, essayer, me rater, oser.
Développement du cabinet & transmission
Je ne crois pas à la « réussite » au sens entrepreneurial classique.
Je crois à la cohérence.
Et dans ce sens-là, oui, mon cabinet a explosé rapidement. Mais pas par hasard. J’y ai mis du cœur, du temps, du soin. J’ai travaillé beaucoup, différemment, passionnément. J’ai choisi de m’installer là où « on » me disait de ne pas aller. De faire les choses comme je les sentais, pas comme on me les conseillait.
Et puis, à un moment, ça a débordé. Il a fallu déléguer, accueillir, transmettre.
J’ai eu la chance d’intégrer à mes côtés des ostéopathes que je respecte, que j’admire, que je vois grandir à leur tour. J’essaie de leur offrir ce que j’aurais aimé recevoir : un espace de liberté, d’écoute, de montée en compétence, de confiance.
Pas un modèle figé, mais un cadre vivant.
Et c’est une joie immense. Parce que quand tu vois quelqu’un d’autre s’épanouir dans le cadre que tu as co-construit, tu sais que tu ne travailles pas juste pour toi.
Vie pro, perso, financière… et le feu* sacré
Tout est allé très vite. Très fort. Très haut.
Mais ça ne m’a jamais fait perdre de vue l’essentiel.
Depuis cinq ans, j’ai gardé un équilibre paradoxal : travailler énormément, et pourtant ne jamais me sentir vidé. Pourquoi ? Parce que je suis resté connecté à ce feu* sacré : la passion, l’intuition, l’amour du soin.
Mais parfois, ma curiosité me perd.
Je me disperse, j’entreprends, je lance des projets. CHERI CLUB (marque de vêtement), évènement musicaux (DJ), les podcasts, les formations, l’écriture, les visuels, la pédagogie, l’envie de tout explorer.
Je me nourris de ça. Mais je m’use aussi, parfois.
Certains jours, j’ai l’impression de vouloir être trop de choses à la fois.
Et pourtant, je sens que tout ça me complète, me rend plus humain, plus vivant.
Alors j’apprends à gérer. À prioriser. À ne pas perdre le cap.
Parce qu’au fond, tout ce que je fais, même en dehors de l’ostéopathie, part de la même source : créer du sens, transmettre, relier.
Ce que je dirais au Louis de 2020
Si je devais dire quelque chose à celui que j’étais en 2020, ce serait simple :
Continue.
Tu as déjà tout. Même si tu crois que tu n’es pas prêt.
Même si tu doutes. Même si tu as l’impression de jouer un rôle.
Reste fidèle à ce feu intérieur qui te pousse à faire autrement.
À écouter autrement. À soigner autrement.
N’aie pas peur de prendre de la place.
N’aie pas peur d’avoir tort.
N’aie pas peur d’être toi.
Ce que tu vis comme des maladresses sont en fait tes plus grandes forces.
Tu apprendras. Tu comprendras. Tu affineras.
Mais ce qui est là au fond, cette envie sincère d’aider sans te trahir, ne la perds jamais.
Parce que c’est elle qui va tout construire.
Cinq ans plus tard, la vision est restée la même.
Mais elle est devenue vivante. Et ça, c’est encore plus fort que ce que j’avais imaginé.
* Le feu : ce que j’appelle ici « le feu », c’est cette énergie brute et profonde qui me pousse à agir, créer, soigner, transmettre.
Ce n’est pas un feu qui brûle ou consume, mais un feu qui éclaire, qui réchauffe, qui alimente l’élan.
Un feu intérieur, instinctif, souvent irrationnel, mais toujours juste.