Réflexion d’un étudiant Ostéopathe en fin de cursus.

Nous sommes le 1er Avril 2020, seize jours après le début du premier confinement. A ce moment-là, je suis en fin de cinquième année d’ostéopathie. Le cursus est bientôt terminé et nous sommes tous enfermés. Il est 3h02 du mat’, impossible de fermer l’œil.

J’essaye autant que possible de combattre l’angoisse nocturne en pensant à des choses constructives : mon avenir d’ostéopathe.

Je repense à l’ouverture de mon mémoire sur l’ostéopathie en entreprise. Une intervention très récente du chef du Syndicat Français Des Ostéopathes (SFDO), Mr. Sterlingot, avait conforté ma position au sujet de la profession. Elle me rassure dans l’optique d’une future installation. Ce monsieur abordait la notion de « bashing » de l’ostéopathie, selon laquelle il y aurait de plus en plus d’ostéos sur le marché avec un chiffre d’affaire en baisse etc… mais c’est faux ! Selon les chiffres officiels des Associations de Gestion Agréées, le chiffre d’affaire moyen d’un ostéopathe, un peu en baisse à cause de la situation actuelle, reste tout de même stable depuis plus de vingt ans. L’idée que les jeunes ostéopathes sont en galère n’a pas de fondement statistique et ne trouve un écho en moi seulement parce que je suis un jeune adulte, donc en proie au doute, qui souhaite se lancer dans la vie professionnelle.

Bref, cette déclaration me rassure et je me rappelle tout à coup à quel point je trouve notre profession belle. Je suis si pressé à l’idée qu’elle puisse enfin être démocratisée dans des univers tels que les hôpitaux/cliniques et les entreprises en général, qui auraient tout à gagner à faire le pari de l’ostéopathie… pour le bien être des employés, des employeurs, comme des clients et des patients.

L’ostéopathie, par le bien être qu’elle apporte et promeut, a pour rôle d’enclencher un cercle vertueux, à l’échelle individuelle comme collective.

D’ailleurs, je voudrais insister sur un point. Comment faire la publicité des bienfaits de cette discipline, et donc de ses disciples, dans la société, alors qu’à partir de la troisième et quatrième année j’ai ressenti chez mes futurs confrères de la frilosité, de la crainte, puis de l’aigreur et de l’envie ?  Le charme et la camaraderie des premières années s’estompent pour laisser place à ce que j’appelle « l’Ego et la Survie » : je dois réussir, et réussir mieux que les autres. Commence à s’installer l’insidieux désir d’être meilleur que son confrère, du moins je l’ai ressenti ainsi dans ma promo. Comme pour toutes et tous, l’installation porte son lot de craintes et d’appréhensions, mais contrairement à une majorité, je n’ai jamais douté de ma capacité à exercer et me construire un réseau de patients et praticiens. Mes camarades de classe ne sont pas des concurrents. Nous sommes tous dans le même bateau, aucun intérêt à se tirer dessus. C’est du sabotage. Mais bon, ce constat ne fait pas l’unanimité et je ne rougis pas à l’idée de clamer haut et fort que je ne jouerai pas dans la cour des peureux mal intentionnés. Ces mêmes peureux, recroquevillés sur eux-mêmes, qui se réjouissent à l’idée que des mesures soient prises pour limiter le nombre des futurs diplômés. Oui certes, il faut un cahier des charges à respecter pour toutes les écoles afin de conserver une qualité d’enseignement à la hauteur de la profession. Non, il ne faut pas voir l’autre comme un ennemi voleur de patientèle. C’est une position étriquée et malveillante qui ne servira à personne. Ce raisonnement, naturel mais médiocre, est idiot, car la tendance ostéopathique est à la hausse dans la société. La pratique ostéopathique se démocratise et s’installe désormais là où elle n’était pas invitée.

Ainsi, la demande augmentant, l’offre n’aura qu’à répondre à celle-ci.

Après, pour nuancer mon propos et contre balancer les critiques lancées au visage de certains, je tiens à rappeler aux non-initiés qu’un cursus complet en école d’ostéopathie coute environ 50 000 euros (plus les frais liés à la location et vie estudiantine). C’est une réelle pression financière pour les familles et un poids psychologique difficile à gérer pour les étudiants. L’investissement se doit d’être rentable, sinon c’est un mauvais investissement. Le prêt, béquille qui sert à financer la formation, devient un réel handicap lorsque l’échéance du remboursement approche. C’est d’autant plus une épée de Damoclès que certains n’ont pas d’appui familial au cas où ça se passerait mal durant le cursus ou lors de l’installation. Mais ce n’est toujours pas une raison qui pourrait légitimer le choix de l’égoïsme et du repli sur soi.

L’entraide et la bienveillance, qui plus est entre praticiens qui débutent, est une clé nécessaire à l’établissement d’une patientèle et à la création d’un réseau professionnel.

Tout ce que je raconte n’est qu’une prise de position sur ce que je pense juste et important à souligner. En ce qui me concerne, bien que les débuts soient plutôt encourageants, je pense régulièrement au fait que je ne gagne pas assez pour être tranquille et me penser à l’abris (l’est-on vraiment un jour et est-ce au fond vraiment souhaitable ?). Moi aussi j’ai un loyer pro/perso à payer, ainsi qu’un prêt étudiant à rembourser. Ce qui m’amène à la question suivante : gagne-t-on vraiment assez un jour pour être tranquille et exercer uniquement pour la beauté du sport ? Comme un amateur qui refuserait de passer au niveau professionnel, donc rémunéré, pour se concentrer dans l’activité en elle-même et rien d’autre.

Un peu compliqué comme question, posons là différemment : quand est-ce je pourrai pratiquer une ostéopathie « saine » ?

Le terme est surement abusif mais c’est celui qui m’est venu en premier. Je parle d’une ostéopathie sans pression économique et sociale, une utopie dans laquelle il serait possible de pratiquer sa profession sans se soucier de ce qu’il va rester à la fin du mois. Vous me répondrez « très bien Louis, mais ce que tu fais aujourd’hui, en attendant d’être libre financièrement, ce serait donc de l’ostéopathie malsaine ? » Et je vous répondrai bien évidemment que non. Je pense juste qu’une fois les bases de mon « univers » bien dessinées = (patientèle et réseau établis) je pourrai me libérer l’esprit et me concentrer davantage sur l’ostéopathie en elle-même et ainsi avoir une approche plus « saine », détachée de mes propres besoins/angoisses. L’ostéopathie d’avant « liberté économique » (donc d’aujourd’hui pour moi) ne serait pas malsaine pour autant, mais juste témoin d’une construction personnelle en tant que professionnel de santé et entrepreneur, où il faut créer sa place dans un domaine où il y a encore tout à faire. Les premiers pas dans le monde pro sont loin d’être évidents…au départ, on va là où on nous demande d’aller pour faire des remplacements, des collaborations temporaires, de la pratique encore et toujours pour atteindre un niveau de palpation supérieur, des formations…bref, beaucoup de mouvement et peu de visibilité sur son avenir. Mais j’espère continuer les formations tout au long de ma vie. Cette période de construction, bien qu’inquiétante car incertaine, est fondamentalement intéressante dans le sens où elle conjugue dans le même temps développement économique (entreprise) et professionnel (savoir ostéopathique). Et c’est parce que je suis dans le besoin économiquement (argent), comme professionnellement (savoir et réseau), que je vais créer encore plus de connexions avec des personnes en lien direct et indirect avec l’ostéopathie. C’est une période d’effervescence qu’il faut savoir mettre à profit pour ne pas la subir. Sincèrement, c’est un cadeau d’avoir pu faire ces études et j’aimerais plus tard pouvoir me payer le luxe d’avoir mon cabinet sans compter et peut-être pratiquer un jour cette ostéopathie que j’appelle « saine », détachée de toute contingence économique et personnelle. Mais je suis en même temps excité à l’idée d’en découdre et de construire tout ce que j’ai à construire.

A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire !

Aujourd’hui, je n’ai pas honte d’avoir le souhait d’optimiser mon installation dans le but de créer un écosystème qui me permettra d’atteindre une certaine vitesse de croisière pour après lâcher peut-être un peu du leste et me rapprocher du mythe de cette ostéopathie saine. Un vieil ostéopathe qui m’a transmis sa passion à l’âge de dix ans me racontait qu’à l’heure de son diplôme il avait les « crocs longs à en racler le parquet ». C’est une réalité, et même si certains ne veulent pas se l’avouer, si tu ne passes pas par cette construction d’un écosystème, excepté peut-être pour ceux qui iront s’installer au beau milieu d’un désert médical ou qui succèdent à un vieux confrère de confiance, la marche pour vivre décemment de l’ostéopathie sera trop haute à franchir. J’y pense, d’ailleurs, un article sur un jeune ostéopathe reconverti m’a dernièrement beaucoup touché. Il assumait sans aucune honte ne pas avoir été assez entreprenant ni « fait pour ça », et par conséquent il a cessé son activité pour se recycler dans la livraison de pizzas. Le but n’est pas de devenir meilleur que son voisin mais bien de trouver sa place, son rôle, son utilité pour se créer une situation tout en participant au bien-être de la communauté. Et ce, quelle que soit la manière.

À bas les préjugés !

J’aimerais bien justement, avec mon mémoire (sur l’ostéopathie en entreprise) et les recherches/pratiques qui en découlent, sensibiliser encore davantage le public et le privé à l’ostéopathie et par extension créer/favoriser la demande. Une demande qui offrirait de belles opportunités aux futurs ostéopathes. Si avec du travail et un peu de chance je peux œuvrer à mon échelle pour la démocratisation de l’ostéopathie et créer des ponts, la potentielle patientèle deviendra infinie, et fini les enfantillages et querelles de voisinage pour conserver sa sacro-sainte patientèle.

Louis Calcet Ostéopathe D.O.

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